Photographier des acteurs

Une actrice de dos sur scène.

Une journée avec la compagnie Théâtre de l’Éclaircie

Que ce soit en reportage, en photographie de rue ou plus simplement en portrait, chaque sujet humain présent dans le cadre constitue un élément majeur de la composition. En effet, l’élément humain attire en premier le regard du spectateur, qui lui accorde d’ailleurs un temps plus long d’observation, ce que démontrent les expériences d’eye-tracking menées par des chercheurs tels que A. L. Yarbus. Plus précisément, « les éléments les plus attirants sont les parties clés du visage humain, comme les yeux ou la bouche, vraisemblablement parce qu’ils sont les premiers à nous informer de l’état d’esprit, du caractère d’une personne »1.

Une photo peut être admirablement bien composée, présenter un parfait équilibre des éléments dans le cadre, elle sera potentiellement inexploitable si une personne présente des yeux mi-clos, une bouche grande ouverte ou si son regard se porte directement vers l’objectif alors même qu’elle ne constitue pas le sujet principal. Autant de problèmes que les photographes de mariage connaissent d’ailleurs fort bien, notamment en ce qui concerne les photos de groupe ! Il est par exemple bien difficile d’obtenir une photo sur laquelle l’ensemble des invités d’un mariage ont les yeux ouverts. Le photographe doit souvent multiplier les prises de vues, user de la rafale, voir recourir à du compositing sur Photoshop. Autant de problèmes dont j’ai pu m’apercevoir très tôt en tant que photographe à l’armée, lorsqu’il était question de faire entrer des sections entières dans mon cadre !

Si une expression corporelle ou de visage peut ruiner une photo, elle peut à l’inverse en constituer le sujet. C’est particulièrement vrai lorsqu’on photographie des athlètes, des musiciens ou encore des acteurs. Et c’est justement d’acteurs dont il est question dans cet article !

J’ai eu le plaisir de photographier durant une journée entière la compagnie Théâtre de l’Éclaircie, à l’occasion d’un atelier dirigé par Claire Simard et Aude Germond. Le sujet était le suivant : comment se mettre en mouvement vers la création et comment fabrique-t-on du théâtre aujourd’hui ? Cet atelier à été suivi d’une expérience collective en laboratoire vécue en direct avec du public invité. Le tout s’est déroulé dans les locaux de l’Abri Culture à Dijon.

Les contraintes sont toujours source de créativité

Les locaux de l’Abri Culture se situent en sous-sol, dans d’anciennes caves voutées. La lumière provient pour l’essentiel des néons situés au plafond. Cela entraîne un grand nombre de désagréments : un effet de banding qui exclu tout usage de l’obturateur électronique, une luminosité faible et des couleurs peu flatteuses, en particulier pour les teintes de peau.

De manière générale, et dans la plupart des cas, l’usage de l’obturateur mécanique est à privilégier à celui de l’obturateur électronique. L’obturateur électronique a pour principaux avantages de permettre une vitesse d’obturation plus élevée, et une vitesse de rafale plus importante. Des atouts précieux en photographie sportive ou animalière, mais parfaitement inutiles dans le cas présent. Pour la vitesse, je suis resté sur des valeurs proches d’1/250 s, suffisantes pour éviter les flous de mouvement sans totalement les supprimer.

Une actrice en train de courir.
Un peu de flou pour traduire le mouvement.
85 mm, F/2, 1/250 s, 2000 ISO

Pour palier le manque de lumière sur ce type de prestation, l’usage du flash demeure hors de question. La discrétion est de mise, afin de n’incommoder ni les acteurs ni les spectateurs. Pour gagner les quelques stops manquants, il vaut mieux opter pour des optiques à grandes ouvertures. Pour réalisé ce reportage, j’ai choisi comme à mon habitude mes deux objectifs à focales fixes favorites : le 35 mm et le 85 mm, qui ouvrent respectivement à F/1.8 et F/1.4. Des ouvertures idéales dès lors qu’il s’agit de travailler en conditions de faible luminosité.

Un acteur sur lequel est braqué une lumière.
Une grande ouverture est indispensable pour photographier les scènes de faible luminosité. Elle génère aussi une faible profondeur de champ, ce qui permet ici d’obtenir un premier plan flou.
35 mm, F/2.8, 1/250 s, ISO 3200.

Enfin, et compte tenu des couleurs présentes sur les différentes scènes, j’ai choisi de ne travailler qu’en noir et blanc. Le choix du noir et blanc ou de la couleur doit se faire avant la prise de vue, et non au post-traitement. En effet, on ne cherche pas les mêmes photos en couleur ou en noir et blanc. La couleur constitue un élément de composition à part entière. Pour ma part, j’opte pour le noir et blanc lorsque j’estime que la couleur n’apporte rien, voir qu’elle nuit au propos. Par ailleurs, le noir et blanc permet de mieux mettre en valeur les contrastes et les textures, deux éléments fortement présents sur cette prestation, entre éclairages qui produisaient une lumière dure et pierres apparentes qui côtoyaient le drapé des textiles.

Un acteur en train de poser une gélatine sur un néon.
Le noir et blanc permet de mettre en valeur les contrastes et les textures.
85 mm, F/2.8, 1/250 s, ISO 500.
Photographier avec les oreilles

La photo se pratique avec tout le corps. On zoome avec les jambes. On se penche, s’agenouille, s’allonge au sol ou escalade pour composer. On gère les verticales par de subtiles mouvements des poignets. On stabilise avec les coudes, le front, la sangle abdominale et la maîtrise de la respiration. On repère les scènes avec les yeux, mais aussi avec les oreilles.

Les oreilles sont indispensables au photographe, à plus forte raison sur du reportage. Elle permettent de repérer de micro-évènements, ou d’anticiper l’arrivée imminente d’une ou plusieurs personnes dans un cadre préalablement composé. En reportage de mariage ou en photo de rue, j’utilise autant mes oreilles de musicien que mes yeux de photographe.

Je me suis surpris à les utiliser davantage ici. Figer 1/250, 1/500 ou 1/1000e de seconde d’une personne en train de parler, c’est avoir l’assurance quasi certaine d’une photo ratée, d’un visage figé de manière peu flatteuse en plein micro-mouvement des yeux et des lèvres, comme un arrêt sur image malheureux en pressant le bouton pause de la télécommande. Hors, un acteur, ça parle, que dis-je, ça interprète !

Pour photographier un acteur, il faut prêter la plus grande attention au texte. Écouter chacune de ses répliques et de ses intonations pour anticiper les pauses, et déclencher lors des instants fugaces de silence.

Un acteur répète son texte.
Un bref instant entre deux répliques.
85 mm, F/2.8, 1/400 s, ISO 100.

Mais rien n’oblige à se limiter à ces seuls instants ! Comme en musique, prêter attention aux nuances permet d’anticiper un climax sur lequel l’acteur aura une expression représentative de son jeu comme de son texte.

Un acteur à la mine sombre derrière une grille.
Les expressions faciales de l’acteur font partie intégrante de son jeu. Ici, la lumière zénithale noircit le regard et renforce le propos.
85 mm, F/2.8, 1/400 s, ISO 100
Le diable se cache dans les détails

Comme en photoreportage mariage, il est important de donner du contexte à la série photographique. Le lieu où l’atelier et les représentations se déroulent compte. Il conditionne les choix de mises en scènes définis dans la journée, le placement et les déplacements des acteurs et du public, l’usage où non d’accessoires ou de lumières additionnelles.

Plusieurs procédés permettent de donner du contexte. Le plus évident consiste à photographier le lieu lui-même.

L'Abri Culture à Dijon.
Pénétrez dans l’Abri Culture.
85 mm, F/2.8, 1/250 s, ISO 200

Pour donner du contexte, il est également important de varier les valeurs de plan. Si l’exigüité de l’endroit ne se prête pas à la composition de plans généraux, les plans d’ensembles ou de demi-ensembles, qui permettent de placer le sujet dans son environnement, demeurent possibles, notamment en extérieur.

La silhouette d'un acteur qui répète son texte face à la rue.
Prendre l’air pour répéter.
85 mm, F/2.8, 1/4000 s, ISO 100

A l’inverse, les gros plans et très gros plans permettent de mettre en avant les détails qui apportent de l’information, mais également une certaine forme de proximité et de tangibilité. Un objet, le détail d’une tenue, une partie du corps ou un geste constituent autant de sujets possibles.

Un acteur écrit son texte dans sa main.
La manière la plus sûre de s’approprier le texte.
85 mm, F/2.8, 1/250 s, ISO 3200
En conclusion

Chaque reportage a ses contraintes propres, mais aussi ses espaces de liberté. Les décisions artistiques du photographe naissent dans cet interstice entre contraintes techniques et liberté de commande. En mariage, en reportage militaire ou comme ici en reportage de spectacle, il faut bien souvent négocier, à un moment ou un autre, avec le manque de lumière et les éclairages artificiels. Photographier des acteurs exige de savoir rester à l’écart, de prêter attention au jeu et d’utiliser ses oreilles pour déterminer le meilleurs moment pour appuyer sur le déclencheur. Enfin, le contexte et les détails sont aussi importants dans le travail des acteurs, et les photographier renforce le sentiment de proximité.

Photographier dans des conditions difficiles revient à faire de la résolution de problèmes. Et la résolution de problèmes constitue la plus grande source de satisfaction et de stimulation intellectuelle. Le photographe est un artiste et, à ce titre, photographier d’autres artistes, dont les pratiques répondent à des ontologies différentes, demeure une source d’inspiration précieuse.

  1. FREEMAN Michael, L’œil du photographe et l’art de la composition, Dunot, 2017. ↩︎

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